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Corps

ma distance offerte
mon laboratoire et ma surprise sans cesse renouvelés

je ne croyais pas que j’aurais ces deux yeux-là
leur forme ovale et noire pour m’observer moi-même
et le monde et au-delà
ces ongles rongés pour toujours
des cheveux changeant de couleur dans l’âge et l’été
des chiffres mètre kilos centimètres
ces pieds qui marchent
hanches faites pour la danse
peau que tatouages et cicatrices veulent marquer
pour un petit toujours
corps qui charme et m’inquiète
étonne de rester en état de fonction
parfois m’irrite me désole
quand me trahit indicible abandon
c’est toujours une question de pertes
dents qui tombent comme des énigmes
corps ma contrainte quotidienne
qui a toujours faim et chaud et froid et sommeil
l’origine ou le prolongement de mon être pensant
pesant corps désirant
corps vivant corps vécu mon enfer de femme
sous le joug de la répression
des liquides des odeurs des poils
rides ou microbes graisse
cernes un étal de faiblesses
tu es moi
corps symbole bouclier
vitrine mille fois vidée
avide de vie de touchers de frémir de goûter
de sentir d’enlacer de courir
d’écrire sous l’écorce
ce sans cesse éclore encore

[Ada Mondès in Recours au poème]