252 Dimanche

Fillette,
Le proverbe dit qu’on ne te reprendra pas tout ce que tu as dansé.
On ne te reprendra pas non plus tout ce que tu as appris.

Je me souviens très bien comment cela a commencé.

Aux toilettes.

C’était au début de l’année dernière.
Pfff, non celle d’avant (j’ai un peu baissé les bras en ce qui concerne le temps, je n’y comprends plus grand-chose, avec une petite conviction qu’en fait il n’y a rien à comprendre.)
Je venais de quitter le Campement, je squattais chez Coloc Bingo, je ne savais pas où j’allais atterrir, j’étais un peu déboussolée.
Un peu vacante.

Les filles de Bingo avaient laissé un magasine féminin aux toilettes.
S’y trouvait un grand article sur les choses à commencer en ce début d’année, des défis à relever, un grand choix de projets – une cinquantaine si le souvenir est bon.
C’était un magazine pour jeunes femmes, il y avait des propositions du genre saut à l’élastique.
J’essayais de trouver quelque chose que j’aimerais faire.
Je n’avais pas non plus envie d’aller vivre à Barcelone ni de repeindre mon appartement en jaune.
D’ailleurs je n’avais pas d’appartement.

J’ai fini par trouver.
c’est le moment d’apprendre à coder.
Ça m’a plu.
Je ne savais pas où je mettais les pieds.
J’ai soulevé un coin du voile, et j’ignore quelle pilule j’ai prise,
mais j’y ai découvert un univers.
C’est joli d’ailleurs, ça s’appelle les développeurs web.
Un univers plutôt bienveillant et solidaire, où se partagent les connaissances et les ressources,
il reste ardu pour moi, et je n’y ai fait que quelques pas,
mais deux ans plus tard, mon site existe, fait à la main,
les pros ont dit qu’il était propre, je suis fière comme un paon.
Je suis allée au bout de moi-même, j’ai appris plus que je ne m’en croyais capable,
j’ai d’ailleurs un peu épuisé les neurones,
il va falloir quelques jours à la mer pour recharger les batteries.

C’est ce dont parle Daniel Pennac dans cette interview :
la jouissance de comprendre.
No limit.

J’arrête tout un instant,
il passe sur Fip Les gauloises bleues d’Yves Simon.
J’adore la nostalgie, un sentiment empli de ce que l’on a vécu.
C’est la musique de mon adolescence,
qui me parle d’elle.
Je la regarde avec tendresse cette jeune folle.
Nous sommes vivantes.

Puisque nous apprenons encore,
puisque nous nous adaptons,
les mains dans le cambouis même,
pour mieux saisir comment le monde pense.

Ce n’est pas facile d’être fière,
l’estime de soi est une vaste chasse au trésor
pour une grande partie des femmes de ma génération.
J’espère de tout mon cœur qu’elle est plus accessible pour nos filles.

Spécial Madeleine Peyroux sur Fip maintenant,
je me nourris.
J’ai besoin de lire, de voir, d’entendre, les féminins.
C’est leur tour.
Rattraper le retard,
rétablir l’équilibre.
Après on remélangera.

C’est aussi cela qu’il nous faut souvent apprendre,
dans bien des domaines –
faire de la place aux autres.
Ouvrir les yeux, l’esprit, les chakras,
les fenêtres, les frontières…
Non ?
Si ?