105 Dimanche

Le premier soir, j’étais seule dans la chambre, mais j’avais trop mal pour dormir. Le deuxième jour, ils ont mis dans le lit à côté une vieille dame qui a râlé toute la nuit. Ils ont posé un paravent entre elle et moi mais ça ne changeait pas grand-chose. Elle respirait comme Dark Vador et était aussi consciente que la grand-mère de la Smala. Je les entendais quand ils s’occupaient d’elle, ils l’appelaient Madame, lui expliquaient ce qu’il faisait, j’étais touchée de ce respect.
J’ai été tout le long du séjour touché par le respect et la compétence.
J’ai pris la télé. Maintenant c’est une tablette sur un bras articulé où l’on peut avoir toutes les chaînes, internet, des livres, des livres audio, des journaux, des jeux…
J’ai voulu écouter un livre audio mais il n’y en avait qu’un, le discours de Zola à l’enterrement de Maupassant. J’ai ainsi appris qu’ils s’étaient rencontrés chez Flaubert. Je les imaginais tous les trois, glorieux et décontractés, devisant de littérature. J’imaginais aussi toutes les femmes écrivains de leur époque qui n’écrivaient que pour elles.
Je comprends pourquoi je n’ai pas la télé chez moi, je suis fascinée par les pires émissions, je me suis remise à niveau sur le parler djeune avec les Marseillais en Australie, j’ai fait des visites immobilières, des visites d’hôtels, de restaurants, j’ai enfin compris qui étaient les Kardashian, j’ai même regardé « les reines du shopping », et il faut le voir pour le croire.
Je n’avais pas la force de réfléchir, sauf pour les jeux parfois, je suis persuadée que ce n’est pas un hasard si « Questions pour un champion » tombe en même temps que le repas du soir.
On s’y fait à ce rythme, le réveil à 5 h pour la prise de sang, on tend son bras encore endormie.
Le troisième jour ils m’ont mis dans une autre chambre, avec une dame qui dormait toute la journée aussi, mais en silence.
La chambre était toute neuve, confortable, claire, avec salle d’eau, douche à l’italienne, et toilettes. Alors que cet hôpital devait fermer il y a deux ou trois ans, grâce à la communauté de commune et à des dons privés, il est en pleine rénovation. Quelques nantis locaux ont donné des centaines de milliers d’euros, voilà ce que font aussi ces salauds de riches.
C’est lui qui m’a amené aux urgences (moi je pense toujours que ce n’est pas grave), il était là tous les jours, je pouvais lui demander ce que je voulais. C’est lui encore qui va s’occuper de moi tous ces mois à venir de grande faiblesse.
Je voudrais pouvoir l’aimer encore davantage, mais il est déjà à mon maximum.
Je sais tout maintenant de la maladie de Blasedow, elle touche 1% de la population, et un homme pour six femmes. Le détail qui m’interroge est qu’elle se révèle en général chez les femmes entre 20 et 40 ans, est-ce que je n’ai pas grandi ou ai-je vraiment su rester jeune ?